Vincent, au Théâtre de l’Œuvre
"Je m’appelle Vincent Beer Demander, j’ai commencé la mandoline dans une école populaire de mandoline à Toulouse, ensuite j’ai fait des études à Paris. Et Marseille, Marseille, Marseille revenait sans cesse, car Laurent Fantauzzi qui est un des plus grands mandolinistes français vivait ici. Je suis arrivé à Marseille en 1998. Je n’avais aucun contact, j’avais juste repéré dans un journal un orchestre de mandoline. C’était ici au Théâtre de l’Oeuvre.
Je suis arrivé rue Thubaneau, à l’époque la rue était un peu plus « animée », c’était quelque chose ! J’entre dans ce théâtre et à l’étage je vois tous ces mandolinistes d’un autre temps. J’avais l’impression que le temps c’était arrêté, c’était fou ! Il y avait encore un élève de Fantauzzi âgé de 97 ans, j’étais vraiment ému. J’avais 18 ans. Ils me regardaient tous avec de grands yeux « un jeune qui fait de la mandoline !»
A Marseille entre 1901 et 1950, il y avait un orchestre de mandoline par quartier, il y avait des milliers de mandolinistes. C’était des immigrés napolitains, siciliens qui arrivaient par bateaux entiers et Laurent Fantauzzi qui était le grand professeur du conservatoire les a aidé à s’intégrer dans la vie musicale, artistique et a fondé l’orchestre à plectres qui s’est installé au Théâtre de l’Oeuvre dans les années 1930.
Marseille était la seule ville au monde avec une classe de Mandoline au conservatoire. Jusqu’en 1941, il n’y avait rien, nulle part ailleurs. A la mort de Laurent Fantauzzi, la classe a fermé. Je l’ai rouverte en 2009 et, en parallèle,
j’ai relancé l’instrument dans sa dimension populaire. J’ai créé mon association, l’Académie de Mandoline de Marseille pour développer l’éducation musicale populaire, à laquelle je crois sincèrement. Je n’oublie pas que j’ai moi-même été formé par des musiciens amateurs passionnés.
Je ne crois pas au hasard, j’ai emménagé ici dans ce quartier à Belsunce, rue de la Providence. Je suis repassé par le Théâtre, j’ai vu qu’il était en plein travaux et qu’il y avait une nouvelle équipe. J’ai vu la salle de spectacle que je n’avais pas vu il y a 15 ans, c’est vraiment trop beau, ce lieu, dans ce quartier… L’idée c’est de reboucler la boucle, aujourd’hui mon rêve est de recréer ce foyer populaire, rien n’est figé dans la vie…
La mandoline a toujours eu un rôle social, celui d’animer, d’accompagner des chanteurs, des fêtes. Ici à Belsunce, on a eu l’idée de faire des sérénades dans la rue. Les habitants sont sortis sur leur balcon et ils étaient émus de voir 50 mandolinistes en bas. Peu importe l’âge, la couleur de la peau, l’origine, tout le monde était là, c’était vraiment un bon moment. J’imagine faire des déambulations dans les ruelles du quartier jusqu’au théâtre, comme on faisait avant, du racolage artistique et puis des concerts fixes, plus classiques.
Je ne crois pas à cette idée qu’il y a une musique populaire et une musique savante. Pour moi, il y la Musique et après on la défend, on essaye de faire en sorte que les mondes se rencontrent. Je travaille autant avec des musiciens classiques que des rappeurs. Le Théâtre de l’Œuvre cristallise ça, un lieu de création, de rencontre des arts, des cultures dans un quartier hyper-populaire."