Sool Famin, rue Tapis Vert
"Sool Famin, c’est comme ça qu’on me connaît. Je suis poète et rêveur. J’ai pas choisi le quartier de Belsunce, c’est le quartier qui m’a choisi. Je suis arrivé il y a dix ans, par hasard.
Je viens du fin fond du trou du cul du monde, le Maine et Loire.
J’en suis parti pour sillonner l’Europe. Pendant 7 ans sur les routes, en stop, à pied, en train, je faisais les saisons et je voyageais.
J’avais aucune intention de faire un arrêt à Marseille! C’était une ville pourrie pour moi, je l’avais rayée de ma carte.
Mais mon train est tombé en panne. Ça m’a pris la tête, je suis descendu. J’ai encore chez moi le billet pour l’Italie de ce train que j’ai jamais pris !
J’avais rien ici, ni famille, ni amis, ni connaissances, rien! Je suis arrivé dans l’inconnu.
Je me suis installé dans le quartier le plus près de la gare, je me disais, bientôt je vais repartir.
Et depuis 10 ans, je suis encore là, à 5 minutes de la gare. J’habite rue Tapis vert. Au 61.
Au début, je me sentais pas très bien dans ce quartier, j’avais du mal à l’appréhender alors j’ai transformé ma maison en île avec des mats de bateaux. J’ai inventé mon architecture, des cabanes de pirates. Et de mon île j’observe. J’observe les cartons d’import-export dans toute la rue Tapis Vert, je me suis imaginé d’où ils partaient, d’où ils venaient… made in Taïwan, made in China… Y a les cartons, les klaxons, les livraisons, les gens qui crient…
Je vois au fil du temps le manutentionnaire qui devient vendeur, le vendeur qui rachète un magasin et devient patron. Toute cette économie fonctionne, évolue, à son rythme.
Belsunce pour moi tient dans un carton qui a voyagé partout avec ses odeurs d’épices, ses langues toutes différentes, ses visages, un perpétuel appel au voyage…
Il y a une beauté derrière la laideur et elle ne demande qu’à être découverte. J’ai fondé un collectif dans le quartier, Massilia Pirata.
Pourquoi Massilia Pirata ? Pour une réappropriation de l’espace public là où on ne nous attend pas, c’est à dire partout.
Lutter contre l’espèce de monstre carré / blanc / commercial / qui assaille la ville et qui veut l’assainir de ses propres habitants. Comme ils l’ont fait rue de la République et à la Joliette.
Mais la ville nous appartient. Et c’est bien à nous, avant les architectes, les urbanistes, les politiques, c’est bien à nous de dessiner notre ville, de lui apporter notre poésie, notre musique, nos utopies."
Recueil des témoignages : Sarah Champion-Schreiber
Photos : Cyril Becquart