Vanessa, au théâtre de l’Œuvre

"Moi c’est Vanessa, j’ai vingt-huit. Je suis arrivée dans le quartier il y a 4 ans. Avec des amis étudiants d’Aix et de Marseille, on s’est mis en coloc dans un grand appartement rue Francis de Pressensé. Pour nous, c’était classe d’être à Belsunce, ça fait référence à la musique Belsunce breakdown, c’est tout un mythe !

Je me souviens le jour du déménagement, on a eu un super accueil de Omar qui tient le bar à thé juste en bas « bienvenue les voisins, si vous avez besoin de quoique ce soit, n’hésitez pas !”, il nous a aidé, offert du thé… C’est devenu un petit peu le papa de la coloc ! Dans toute la rue on a créé du lien, il y avait le vendeur sénégalais en face : le matin c’est « eh salut ça va ou quoi ? Bonne journée ma chérie ! » Et le soir « alors ta journée ça s’est bien passé ? » Pareil le couturier au coin ! Et le gars de la boutique Lycamobile… à chaque fois que j’y vais pour internet ou pour des impressions, il me donne des bonbons ! Avec lui j’ai l’impression d’être la petite fille du village de mon enfance, quand les vieilles me pinçaient les joues !

Ça fait quatre ans qu’on est là, mais pour nous on est déjà des vieux de vieille. On a peur de transformations radicales pour le quartier, comme ce qu’ils ont fait rue de République. Cette politique de rénovation du centre qui exclut les plus pauvres. Les loyers augmentent dans le quartier et en même temps, malgré nous, on est aussi acteurs de cette gentrification. Moi, je m’en suis réellement aperçue le jour où on a discuté avec cette famille à côté qui nous a dit : « ah ben oui nous avec les nouveaux arrivants, on a dû monter dans les étages parce qu’on pouvait plus se payer cet appartement ! » Les familles plus pauvres montent d’étage en étage et quand c’est trop cher, elles partent du centre. Nous, on se considère

Comme des jeunes qui n’ont pas les moyens mais on vit en coloc, on a des petits boulots, on arrive à s’en sortir. Pour des familles c’est beaucoup plus compliqué !

La coloc, ça a été un vrai laboratoire de réflexions sur ce quartier. On a eu plein de débats, sur les effets de la colonisation, l’entre deux cultures, la question de l’origine, de l’identité… Ce qui est fou, pour moi qui suis historienne et qui ai mon terrain d’étude en Ethiopie, c’est que les Français qui vont travailler là-bas, personne ne les appelle étrangers, on les appelle expatriés ! C’est un statut beaucoup plus classe, alors qu’en fait c’est la même chose. Ils reconstruisent exactement leur mode de vie français, en Éthiopie. Ils vivent dans une espèce de microcosme fermé. Ici on reproche aux étrangers de ne pas s’assimiler ! C’est fou ! Ce qui serait génial c’est qu’un jour le mot étranger ait une connotation positive ! « wouah, t’es un étranger, la classe! T’as une autre culture, tu peux nous apporter plein de choses, ton vécu, tes expériences ! » et qu’on arrête avec : « on vient nous piquer notre boulot, on vient nous piquer nos allocs… »

Avec Gilles de la coloc, on a participé à un projet de création théâtre « Yadra, se souvenir pour construire l’avenir ». Il faut qu’on se souvienne de ce qui s’est passé entre la France et l’Algérie, mais maintenant qu’est-ce qu’on fait concrètement pour construire, pour aller de l’avant ! C’est une rencontre entre des jeunes d’Oran, de Marseille et de Berlin. Cette expérience m’a transformée. Ça a été un déclic. L’histoire, c’est un engagement ! Je sais que ce que je veux c’est mêler histoire et théâtre. Le théâtre a un vrai pouvoir cathartique. On réfléchit, on crée ensemble, on renverse les rôles, on donne à voir, à entendre, on libère la pensée dans l’action, c’est magique. C’est pour ça que quand j’ai su que dans mon quartier, il y avait un théâtre avec une histoire incroyable et une vraie émulation collective avec plein de projets qui émergent, des liens qui se tissent, je me suis dit « passe pas à côté! » C’est the place to be, the place to do! J’ai plein d’idées, plein d’envies. C’est une nouvelle page de ma vie qui s’ouvre…"

Recueil des témoignages : Sarah Champion-Schreiber
Photos : Cyril Becquart
Portrait réalisé avant la crise du COVID.