Daniel, garage rue Thubaneau
Je m’appelle Daniel, je suis arrivé dans le quartier en 1976. En tant que français d’Algérie, j’ai fait mon service militaire à Marseille, à la Caserne du Muy. A la fin de mon service, j’ai trouvé un travail de mécanicien, dans ce garage. Avant d’être un garage, c’était les Nouvelles Galeries, ici. Celles qui ont brûlé dans l’incendie de 1938.
Quand je suis arrivé, c’était une station-service et un garage avec un atelier de mécanique. Il y avait une partie de parking à l’heure. On était 18 salariés. Et puis en 1980, le gérant a vendu et le nouveau propriétaire nous a tous licenciés. Il a transformé le garage en parking. J’ai été choisi parmi les 18 pour gérer le parking. Je suis resté le seul salarié.
Au début il n’y avait pas tous ces murs, des deux côtés c’était ouvert. Il y avait des grandes baies vitrées. De la rue, on pouvait voir les voitures circuler et se garer, un peu à l’américaine ! Et moi des deux côtés, Canebière ou Thubaneau, je voyais tout ce qui se passe !
Rue Thubaneau, c’était vraiment autre chose. Du matin au soir la rue était noire de monde. C’était l’une des rues les plus connues de Marseille. Même à Strasbourg, on connaissait la rue Thubaneau, la rue des prostituées. Il y avait beaucoup de légionnaires qui venaient, des gens chics, des médecins, des gens moins chics. Je voyais derrière les vitres les gens qui allaient aux sex-shops, au cinéma X. Je peux vous dire qu’il en est passé du monde.
Il y avait des bars partout, un peu louches. Ils te servaient jusqu’à te plumer entièrement. Il y avait le cabaret de strip-tease, Omar Khayem. C’était des danseuses qui se dénudaient en faisant la danse du ventre. Il y avait aussi un grand restaurant de couscous méchoui, La Baraka avec quatre sœurs qui dansaient avec des bouteilles de champagne sur la tête. J’étais jeune à l’époque, je draguais la plus jolie et j’ai réussi à l’avoir !
Juste là, à l’angle, il y avait la bijouterie où les prostituées venaient dépenser l’argent qu’elles gagnaient. Il y avait aussi leur magasin de chaussures Jimmy sur la Canebière qui ne vendait que des chaussures et des bottes à talons aiguilles. Il n’était fréquenté quasiment que par les prostituées.
C’était soit disant mal famé, mais ici on se tenait à carreau, vu que c’était le lieu de rendez-vous des truands, tu savais qu’il ne pouvait rien t’arriver, ils ne se faisaient pas remarquer.
Et puis on avait du beau monde. Comme il y avait le grand Hôtel de Noailles sur la Canebière, les gens venaient se garer ici. Il y avait des stars, Aznavour, Bernard Blier, Yves Montand… Yves Montand a même tourné un film là, rue Thubaneau.
Aujourd’hui, plus personne ne passe par là. Pour moi la rue est morte quand les prostituées ont commencé à partir. Il y a eu les interdictions, les flics étaient de plus en plus présents, ils se cachaient pour surprendre les prostituées qui racolaient. Et puis il y a eu le sida. Et pour finir la rénovation du quartier qui a fini de tuer la rue.
Recueil des témoignages : Sarah Champion-Schreiber
Photos : Cyril Becquart