Mohamed et Abdou, rue Saint-Théodore

"Mohamed – Moi, j’habite au 17 de la rue Pressensé, depuis toujours. Cette année on a le bac, donc on a moins le temps de rester dans le quartier.

Abdou – Et moi au 18, juste en face, un peu décalé, mais en face. Je suis arrivé il y a 10 ans. On est venu s’installer à Belsunce, par rapport au travail de mon père. Il est Imam et ils lui ont proposé la mosquée de la rue Francis de Pressensé. Il a été Imam là pendant 6 ans.

Mohamed – Tous les deux, on s’est rencontré ici. Moi, je jouais au foot avec mes collègues et au fur et à mesure Abdou venait, il restait avec nous et voilà. On s’est rencontré avec le ballon.

Abdou – Notre endroit pour jouer quand on était plus jeunes où on allait tout le temps, c’est surtout la ruelle Saint-Théodore. On jouait au 180. T’as besoin que d’un grillage et d’un ballon et c’est bon ! On tourne aux cages et le premier qui se prend 180 points a perdu.

Mohamed – Si tu marques avec une tête, le gardien se prend 30 points.

Abdou – Et un lobe, c’est aussi 30 points.

Mohamed – Un lobe + une tête c’est 60 points.

Abdou – Une aile de pigeon c’est 50 points.

Mohamed – Le retourné c’est 180 direct ! Mais sur le béton on peut pas. Et si tu marques mais pas dans les règles tu rentres aux cages ! Parce que pour marquer tu dois le faire sur une reprise, faut pas que la balle ait touché le sol. Une passe haute et tu marques.

Abdou – A la fin, le premier qui s’est pris 180, soit il a un gage si c’est un marroneur, soit il est chauffe cul. C’est qu’on lui shoot super fort avec le ballon sur les fesses !

Mohamed – Des fois on joue au stade synthétique rue Korsec. On grimpe au-dessus des grillages. Si on est nombreux on fait un match, si on est 3 ou 4 on fait un 180. Ça a pas d’âge le 180, même les grands comme nous, on joue. Après quand on joue pas on reste dans le quartier. On est dans la rue, on n’a pas un endroit particulier, ça dépend combien on est. On cherche l’endroit le mieux pour s’asseoir. Si on est nombreux on va à la Halle Puget, sinon en bas des blocs. On va pas dans les cafés, c’est pour les plus grands.

Abdou – On a plein de petits bons souvenirs dans le quartier.

Mohamed – Surtout quand c’est le ramadan. Y a plein de monde dans la rue, on se retrouve le soir, on reste toute la nuit dehors jusqu’à l’heure de manger avant le lever du soleil, et puis on va se coucher. L’été dernier, y avait un grand qui avait quatre petites motos cross, des Piwi, des Pockets. Fallait les réparer, on se réveillait à 15h et jusqu’au soir on l’aidait à réparer pour s’occuper avant de pouvoir manger. C’était pas trop fatiguant et on s’ennuyait pas.

Abdou – Le quartier est bien pour nous, c’est un quartier d’hommes, c’est vrai que pour les filles c’est pas terrible. J’ai des sœurs, mais elles restent pas dans le quartier, elles traînent pas, elles vont ailleurs. De toute façon y a pas de filles dans le quartier. Pas de notre âge. Les filles de notre âge, y en a pas. Ou bien elles se cachent… Une fois, je me souviens, l’immeuble d’en face de chez moi, y a eu un incendie. Et tous les gens de l’immeuble sont sortis. Y avait une fille de notre âge avec sa mère. Elle, on l’avait jamais vu ! On a été choqué ! En plus elle était belle. On l’a jamais revue depuis."

Recueil des témoignages : Sarah Champion-Schreiber
Photos : Cyril Becquart
Portrait réalisé avant la crise du COVID.