Omar, café Babor, rue Francis de Pressensé

"J’ai un petit café qui s’appelle Babor, situé au 3 rue Francis Précensé. Ça fait 7 ans, avant j’avais un bar rue Dugommier, à l’angle de la rue Thubaneau, Le Gardian. C’est mon frère qui le gère maintenant. Une histoire de famille.

Je suis arrivé en 1976, à 17 ans, de Kabylie, je suis originaire de Bougie, c’est une très belle ville, lumineuse, avec son phare qui accueille les bateaux du bassin méditerranéen. Rien qu’en en parlant j’ai la chair de poule.

Ici, c’était déjà un café qui s’appelait Babor qui était tenu par un homme de la région de Sétif, un petit village au pied des montagnes de Babor, c’est en basse Kabylie. J’ai voulu garder l’appellation, aussi par ce qu’en arabe, « babor » ça veut dire bateau. C’est un café connu dans notre communauté. C’est comme à l’époque de nos parents. Comme en Algérie. Ici, ce sont des Algériens qui viennent, des hommes originaires de Tlemsen, et d’Alger. C’est un café d’hommes… Les femmes ne viennent pas, ici. Elles peuvent mais… Je ne vais pas vous expliquer comment ça se passe chez nous. C’est une question de culture. On a grandi comme ça.

Toute la journée ça fait comme des vagues. Une première vague, un groupe d’hommes et ils repartent et une autre vague arrive. Et quand une personne cherche quelqu’un d’Algérie, il vient ici au Café Babor. C’est le petit phare de la ville, pour se repérer… C’est un lieu de rencontre et d’entraide !

Ici on retransmet tous les matchs du championnat algérien. Les gens suivent les événements sportifs du bled. Il y a aussi une ambiance politique, on parle beaucoup de ce qui se passe au pays. On est en France mais branché en Algérie. C’est notre histoire, on est des enfants de l’entre deux rives.

On n’est pas venu par envie ou par opportunisme. On voulait partir. Jusqu’à ce jour, le peuple d’Algérie est malmené par ceux qui le dirigent. C’est une longue errance. On nous appelle les binationaux. Et nos enfants, les pauvres, ils ne savent plus où donner de la tête. Quand on les emmène en Algérie, c’est : « Papa, quand est-ce qu’on rentre à la maison ? »
Combien de familles ont fait construire de belles maisons, des châteaux pour leurs enfants. Tout ce qu’ils ont sué, c’est pour les enfants. Mais c’est un mythe, le mythe du retour ! Il reste à l’état de rêve et personne ne rentre. On y va le temps des vacances, quelques jours… c’est tout ! C’est une erreur de continuer à penser que l’avenir de nos enfants est là-bas. En même temps, on ne peut pas s’empêcher de garder ce rêve, et de le transmettre."

Recueil des témoignages : Sarah Champion-Schreiber
Photos : Cyril Becquart