Tom le tailleur, rue des Petites Maries
"J’ai 74 ans, je suis en peine forme. Je suis un des plus vieux artisans du quartier et je ne suis pas prêt de m’arrêter ! Depuis que je suis dans le quartier, je taquine tout le monde. Les petits bonjours, c’est très bon. Mes parents m’ont inculqué la principale des choses : le cœur avant, la tête après.
Je suis arrivé à Marseille en 1958, j’avais 16 ans. Je suis venu avec des bonnes sœurs, parce que ma mère Charlotte était la présidente de l’association des femmes catholiques de mon village. Le village de Palmarin, au sud du Sénégal. Alors asseyez-vous bien, parce qu’au Sénégal, moi, j’ai été enfant de chœur de Monseigneur Lefèvre, ça vous en bouche un coin !
Je voulais être tailleur, c’est ma mère qui m’a transmis le goût de la couture. A la fin de mon apprentissage à Marseille, j’ai commencé à travailler chez Vitalis Ishkinazi, un tailleur juif installé rue Puvis de Chavannes. C’était tout près du foyer des tirailleurs sénégalais. Mais leur histoire n’a rien à voir avec la mienne, il ne faut pas confondre ! Puis j’ai créé ma propre boutique rue des Petites Maries, en 1972. Je venais de me marier avec la Baronne. Dans 9 jours, on fête nos 45 ans de mariage ! C’est pas vous qui pourrez en dire autant dans 30 ans !
J’ai commencé comme les autres à faire des vêtements pour les gens du quartier. Juste à côté, il y avait la Maison Khan, le vendeur et producteur de disques. C’est là que j’ai écouté un disque de Jimmy Cliff et que j’ai découvert le reggae. Jimmy Cliff venait faire un concert au Pharo, je suis allé le rencontrer. J’ai jamais eu froid aux yeux, j’y suis allé au culot et tout est parti de là. J’ai créé une ligne de vêtements reggae !
La baronne et moi on est devenu très amis avec Jimmy Cliff. Puis, j’ai fait des vêtements, des objets pour les concerts de Bob Marley, pour Gainsbourg, pour des musiciens, des artistes, des hommes politiques ! Alpha Blondy a tourné un clip dans ma boutique. Le mieux sapé c’était moi ! Leopold Sédar Senghor lui-même est venu dans ma boutique. Mes créations sont allées jusqu’à l’autre bout de la planète, jusqu’à Jean-Marie Tjibaou en Nouvelle Calédonie.
Ici, je peux faire en même temps une retouche pour un vieux Chibanis, une robe pour une jolie voisine, et un costume de scène pour un artiste. Tout le monde est bienvenu. Tant qu’il ne se prend pas au sérieux !
Je vais vous dire ce qui a fait mon succès : c’est de ne pas me prendre au sérieux. Vous entrez dans la boutique, on prend un thé ou du kinkiliba avec du yembé yémbé, on discute, on rigole. Faut pas être pressé, moi je prends mon temps. Les gens viennent, reviennent. Les gens portent mes vêtements ici partout, c’est ça ma pub ! Ceux que j’ai connus gamins continuent à venir… Pourquoi, parce que je fais le pingouin !
Je fais le pingouin dans ma boutique, sur mes rollers, sur ma planche à voile et surtout, dans mon taxi londonien aux couleurs de la Jamaïque !
La première fois que je suis allé à Londres pour acheter des objets pour la boutique, on a pris un taxi. J’ai dit à la baronne « cette voiture, il me la faut ! » En rentrant à Marseille, je suis allé directement à la banque. Je leur ai dit : « Ouvrez moi un compte épargne, je veux m’acheter un taxi anglais ! » L’employé de banque a pensé que j’avais fumé, mais non. Quand j’ai eu mes 60 ans la baronne a décrété «c’est bon, on t’achète le taxi ! » On l’a payé cash ! Je me le suis fait livrer jusqu’ici ! Je fais le pingouin, il n’y a rien à dire de plus…"