Brahim, rue des Dominicaines

Je m’appelle Brahim, mon père est arrivé en France en 1970. Il était déjà commerçant en Algérie mais avec le socialisme qui est arrivé au pouvoir après la décolonisation, les commerçants étaient bloqués dans tout. Alors il a décidé d’ouvrir un commerce à Marseille. J’ai repris le magasin en 1992 quand mon père est parti à la retraite. Je vivais à Alger et j’avais un commerce avec mon frère. C’était lui ou moi. Je suis venu.

On vend des vêtements traditionnels pour les femmes. Au départ c’était des modèles de chez nous faits avec des tissus français et une confection française de bonne qualité. Maintenant avec la mondialisation, ce sont des tissus fabriqués en Chine. Ils fabriquent tout pour pas cher.

Mon père est arrivé dans un quartier en plein essor. C’est le quartier où les hommes arrivaient. Après la guerre, les besoins en main d’œuvre pour la reconstruction de la ville, et aussi après la décolonisation et la crise des dockers à Marseille, la France a fait appel à toute une masse de travailleurs maghrébins. Ils allaient les chercher et les embarquaient sur des bateaux et arrivés à Marseille ils étaient envoyés ici dans de petits hôtels pas chers. C’est là que les entrepreneurs venaient directement chercher la main d’œuvre bon marché.

Les hommes rentraient chez eux plusieurs fois par an et achetaient des marchandises de qualité pour leur famille. On faisait des bonnes affaires. Ils repartaient avec des valises pleines. Aujourd’hui, on retourne une fois au pays avec une robe et un foulard à tout casser.

A la belle époque, ça se passait bien. On se partageait le quartier entre juifs, arméniens, maghrébins. Il y avait un beau petit mouvement de quartier, animé.

Et puis les politiques ont fait erreur sur erreur. Ils ont créé des visas. Alors les gens n’ont plus pu venir en France aussi facilement. Et puis il y a eu la crise. Le chômage. Maintenant plus aucun habitant des pays du Maghreb ne vient faire ses courses à Marseille. Ils commandent directement les marchandises à la source, en Chine.

Le quartier est devenu dur. Ce n’est pas un quartier à vivre. On vient y travailler et on repart. C’est un quartier délaissé. Les hôtels de prostitution sont remplacés par des chambres d’étudiants. C’est bien mais à nous les commerçants, à quoi ça nous sert ? Les étudiants sont les derniers avant les misérables, ils sont fauchés.

Beaucoup de magasins ont fermés et ça continue. Encore cette semaine, deux magasins viennent de fermer et si vous voyez sur les devantures combien cherchent à vendre leur bail ? Personne ne veut racheter. Pourquoi investir dans un quartier qui meurt ?

Pourtant, Belsunce, c’est le cœur de la ville. Il ne bat plus depuis presque 10 ans. La Ville devrait trouver le moyen de faire venir les touristes ici. On ne demande que ça travailler. On peut faire évoluer notre marchandise en fonction du client. Il y en aurait des choses à faire ! Regardez la rue de Rome comme elle est propre. Regardez ce qu’ils ont fait au Panier, comme c’est beau, les petits commerces… Il n’y a aucune volonté de l’Etat ici à part peut-être une stratégie de laisser mourir le quartier pour faire totalement autre chose. Sans nous!