Ali Timizar, Place Louise Michel

"Je suis arrivé à Marseille dans les années 90, avant j’étais à Alger et je travaillais dans l’administration. Mon frère avait besoin d’une relève pour ses affaires, il se faisait vieux. Il avait un hôtel à Belsunce, l’Hôtel Océan, j’ai pris la suite. Puis, avec un associé on a racheté un grand café-hôtel, on lui a donné le nom du fils de mon associé, Café Mounir. Aujourd’hui c’est une institution du quartier.

Ce café-hôtel est fréquenté par ces vieux travailleurs, ces oubliés : les Chibanis. Quand je suis arrivé dans le quartier, je me suis intéressé à leur histoire, une histoire faite de drames, d’injustices. Ce sont des hommes qui ont été lésés. Ils ont tout quitté pour venir répondre aux besoins de main d’œuvre de la France. Après 50 années de dur travail avec des contrats spécifiques sous-payés, ils ont une retraite misérable et l’obligation pour la toucher de résider au moins six mois en France. Ils viennent, ils repartent. Ils ne se retrouvent chez eux nulle part.

C’est seulement en 2013 que l’état a commencé à légiférer sur cette injustice. Aujourd’hui tant d’entre eux sont déjà morts. Ils n’ont pas vu leurs enfants grandir. Ils rentraient tous les 2, 3, 5, 10 ans parfois. Ils ont fait des enfants qu’ils n’ont pas éduqué, eu des femmes qui les attendaient. Pour la plupart, ils ne savent ni lire, ni écrire, et certains ne parlent pas français. Chez eux ou ici, ils sont des étrangers. C’est un vrai drame social. Tous ces hommes qui ont participé à la construction de la France. Ils ont sacrifié leur vie pour le travail, pour ramener de l’argent pour leur famille pour qui finalement, ils ne sont qu’un bienfaiteur, une figure lointaine.

Ces hommes se retrouvent au café pour parler entre eux ou bien sur la place, là, juste devant. C’est une place qui existe depuis 1944. Une bombe a soufflé l’immeuble qui se trouvait là. C’est resté tel quel, avec quelques aménagements de bancs en béton et des palmiers.

Avec des camarades du CIQ (Comité d’Intérêt de Quartier), on s’est mobilisé pour qu’elle soit mieux aménagée et mieux servir les vieux, les jeunes, les habitants, les touristes, que cela devienne un endroit agréable de la ville. Il y a eu un référendum et les habitants ont voté pour que cela reste une place. La Ville voulait reconstruire un immeuble.

Nous avons pensé qu’il fallait donner un nom à cette place. Le choix du nom est venu parce qu’en passant au numéro 19 du boulevard Dugommier à l’hôtel Duc, je suis tombé sur la plaque en l’honneur de Louise Michel, c’est là qu’elle est décédée. J’en ai parlé au CIQ, nous avons pensé qu’elle méritait plus qu’une plaque de quelques centimètres. Nous avons voulu rendre hommage à cette grande dame qui s’est battue toute sa vie contre les injustices. Elle a d’ailleurs un lien particulier avec l’Algérie puisque lors de son exil en Nouvelle Calédonie, elle a côtoyé des Algériens déportés après leur révolte de 1871. Elle les a soutenu dans leur lutte contre la colonisation.

Louise Michel a élevé sa voix en dehors de ses propres intérêts, au détriment de sa santé, de sa vie entière pour défendre la condition des femmes, des indigents, des faibles. C’est un formidable symbole pour cette place et pour tout le quartier."

Recueil des témoignages : Sarah Champion-Schreiber
Photos : Cyril Becquart